Et ensuite ?
Je me suis toujours demandé, ce qu'il y avait après.
Car me suis toujours résignée à croire qu'ensuite,
Il n'y a que le vide.
Un jour, j'ai essayé, de voir par mes propres yeux,
Ce qui se cachait derrière ce néant d'illusion.
Et j'ai compris que je n'étais pas encore prête à le savoir,
Qu'il faudrait mieux pour moi continuer à croire,
Qu'après tout, on ne partira pas les mains vides,
Vers l'inconnu.
Je veux espérer que tout est prévu,
Que tout n'est pas malheureux,
Qu'on ne finira pas en simple cendres,
Eparpillées, envolées,
Partant vers les sombres abysses de l'oubli et de la vie.
Quand tu partiras.
Le jour où tu partiras,
Car c'est certain,
Tu ne resteras,
J'espère qu'on se retrouvera,
Et que tu te rappelleras,
De moi et de tous ces instants,
Qu'on a construits,
Imaginés et rêvés,
Et même réalisés.
Moi, en tous cas,
Je m'en souviendrais,
Aujourd'hui et demain,
De toi, de notre chemin,
Qu'on a parcouru,
Main dans la main.
De tous ces moments,
Que tu as rendus si heureux,
Si chaleureux, si joyeux.
Je te le promets,
Je m'en souviendrais,
Et si toi tu les auras oublié,
Je te les remémorerais,
Je les graverais,
Dans ta tête et ton cœur,
Avec mes mots à moi,
Si maladroits.
Mais pour le moment,
Tu es encore là,
Alors je n'ai pas à penser à ça.
Une triste pensée.
A toi, mon éternel amour de toujours, que je ne cesserais d'attendre, malgré les années et le temps qui s'écoule devant moi...
Je voudrais que tu saches, que depuis ce malheureux jour, où le ciel me peinait, m'accompagnant de ses pleurs, je n'ai cessait de penser à toi, de rêver ton retour.
Jour et nuit, j'étais là, je t'attendais, je ne voyais plus que ça : ton doux visage, me souriant tristement, partant vers l'inconnu, la froideur de la guerre, et le goût amer de cette vie que tu laissais derrière toi.
A l'époque j'étais jeune, je me suis jetée sur toi, te suppliant de rester, mais tu m'as murmuré : « Désolé, je ne peux pas... »
Ces mots-là sont restés, gravés à jamais, dans ma tête, mon cœur et mon esprit. Et chaque fois que je repensais à ça, ces douloureuses paroles, que je n'aurais jamais souhaité écouter, reviennent, me couvrant de larmes chaudes, que je m'empresse d'essuyer.
Et puis je repense à toi, à ta douce voix, que j'aurais pu écouter pendant au moins toute une éternité. Tes yeux bleus, de la couleur de l'océan, je pouvais les admirer tant de temps. Et tes lèvres sucrées, qui me faisaient chavirer, et oublier ce que j'étais. Quant à tes caresses, lorsque tes mains se posaient sur moi, je ne m'en étais jamais lassée, et jamais je ne pourrais les oublier.
Mais tout cela est maintenant derrière moi ; il faut que je cesse de penser à ça, il faut que je me fasse à l'idée que tu ne reviendras. Il faut que j'arrête d'attendre, car à présent tu n'es plus qu'un fantôme, sanglant, errant parmi les débris de ton âme meurtrie.
Et pourtant, malgré les années écoulées en ce temps, je n'y arrive toujours pas. Je suis morte en même que toi ; lorsque nos regards se sont séparés, lorsque nos mains se sont déliées, on a de suite su, que c'était là la fin d'une belle histoire d'amour, qui n'aurait jamais dû voir la sombre et triste page, qui se trouvait dans ce livre qui aurait pu continuer encore, malgré le temps qui nous était compté, et nos heureuses journées qu'on finissait pas délaisser, et oublier, pour les recommencer, comme si rien d'autres n'existait.
Rêver.
Allongés dans l'herbe d'un vert éclatant, les bras croisés derrière la tête, ils regardaient, à la fois rêveurs et fascinés ce ciel azuré, s'étendant à perte de vue.
Et ils parlaient ; de leurs vies, de leurs sentiments, de leurs déceptions, de leurs rêves. De temps en temps, ils s'interrompaient, écoutant les oiseaux chanter. Il lui arrivait parfois de lever la main, et de montrer un corbeau passant par là ; ou refermer ses doigts fins dans le vide, comme si elle voulait attraper désespérément un nuage qu'on aurait dit fait de coton. Mais les sachant trop loin, elle la baissait dans un soupir, et se contentait d'y perdre ses prunelles émeraude.
Et la conversation reprenait. Jusqu'à ce que, de temps à autres, leurs regards se croisaient. Ils se regardaient alors, sans rien dire, comme deux vieux amis dont les mots n'avaient plus aucune importance.
Ils ne comptaient plus les heures, ni même les papillons colorés qu'ils suivaient du regard lorsqu'ils en voyaient.
Plus rien alors n'existait ; ils rêvaient. Et cela leur suffisaient.
Le Mal.
"Le Mal, qu'est-ce donc réellement, me demande-tu ? Je crois le savoir.
Pour faciliter les explications, acceptons de le considérer comme un être à part entière, même s'il est bien plus que ça."
Et sur ces derniers mots, il entama son récit qu’il avait depuis longtemps préparé et récité, la nuit, dans son lit, lorsque Morphée refusait de venir à lui.
"Imaginez que tous les jours, pendant votre sommeil, et tous les autres moments de la journée, quelqu'un vous surveille. Il attend ce moment propice où vous serez le plus vulnérable. Il patiente, et il attendra tout le temps qu'il faudra. Il vous connaît mieux que quiconque. Il connaît vos faiblesses. Il sait quand il faudra attaquer. C'est un chasseur redoutable.
Quant à vous, vous doutez-vous peut-être de son effroyable existence, ou alors essayez-vous de l'ignorer, de l'oublier, ou même n'êtes-vous au courant de rien. Peu importe, il est en vous, que vous le voulez ou non. Depuis ce malheureux jour où vous avez vu le Monde pour la première fois, vous avez, sans même le savoir, signé vous-même votre arrêt de mort. Car c'est ce jour-là qu'il a décidé de vous pénétrer, pour creuser au plus profond de votre âme. C'est lui qui détient en partit les ficelles de la pauvre marionnette que vous êtes. Vous êtes la proie idéale.
Ce chasseur, c'est le Mal. Les proies, c'est nous tous.
Il faut bien se rendre à l'évidence : on en est composé. Cet être, à part entière, vivant en nous, c'est le Mal.
Et en bon prédateur, il saura même avant nous quand le bon moment viendra pour nous dévorer tout cru. Il ne se fera pas prier, bien au contraire. Il n'hésitera pas un instant, et profitera de notre faiblesse. Il nous apprendra alors à voir les choses autrement, en remontant doucement à la surface de notre âme. Tout en nous torturant, il nous initiera à sa façon de penser, et alors, nous deviendront comme lui : on pensera comme lui, on aura les mêmes besoins que lui, les mêmes désirs, la même vision du monde. Non, en fait, il nous remplacera petit à petit, jusqu'à prendre notre place dans le monde des mortels. Nous ne serons alors plus rien. Nous n'existerons plus. Tout simplement parce qu'on l'aura laissé prendre le dessus. On l'aura écouté quand il nous avait abordé en douceur. Et c'en sera fini de celui qu'on avait connus. A présent, nous ne répondrons qu'avec sa voix."
Il regarda ses élèves, les uns autant que les autres absorbé dans le récit de leur professeur. Il se passa la langue sur les lèvres, et en fermant les yeux, une ultime pensée lui vint à l’esprit :
"Sûrement est-ce lui, le réel Etre Suprême, avec cette traîtresse qu'est la Mort ?"
Cette Chose.
Chaque jour qui passe, chaque instant qui s'écoule devant moi,
Je sais qu'il est là,
Cet être insensible ne pensant qu'à soi,
Dont la présence seule suffira à me dompter et me faire avouer tous mes actes passés.
Je le sens, le sais,
Chaque nuit que je passe à ses côtés,
Il me prouve encore d'avantage sa suprême grandeur,
Sa déloyauté et son sourire charmeur me fait tout simplement chavirer.
Sa présence me rassure, mais en même temps j'en ai peur,
Quand j'entends sa voix résonner au plus profond de moi,
J'essaye de l'ignorer, de faire comme si je ne l'entendais,
Mais malgré tous mes efforts, il se fait encore plus fort.
Lorsqu'il me pénètre de son regard froid,
Je m'arrête, je ne vois plus ça :
Ses yeux vides d'émotions semblent m'appeler ;
Je m'avance alors, et m'y perd pour l'éternité.
Mais quand il pose ses douces mains sur moi,
Bras de fer dans un gant de soie,
Je sais que je ne pourrais lui résister,
Alors j'essaye de les enlever, usant de ma force entière, mais chaque fois je vois que cela n'a encore une fois pas suffit à me libérer de son emprise mortelle pour moi.
Il lit dans mes pensées comme on lirait un livre ouvert,
Il voit en moi comme si je n'existais qu'à travers du verre,
Et parfois, même, il contrôle mes gestes, mes actes,
Il se sert de moi afin d'aboutir ses misérables corvées que Dieu lui a confié.
Je suis consciente que face à lui je suis impuissante,
Mais je me bats, je ne le laisse faire de moi un être inexistant,
Du moins j'essaye, car je ne veux pas,
Qu'il prenne le dessus et accomplisse, malgré moi, mes obscurs fantasmes créé en partit par ses doigts.
Cette journée de pluie.
Je me rappelle de cette journée de pluie comme si c'était moi-même qui l'avait vécue et en avait profité.
Oui, il pleuvait ce jour-là, m'a-t-il raconté.
Collé à la fenêtre, il regardait le ciel, couvert de nuages mornes et plus gris que jamais.
Et je pensais, je pensais à elle, elle occupait mes pensées, avait-il continué, un triste sourire plaqué à ses lèvres sucrées.
La seule chose qu'il voulait alors, à ce moment-là, c'était la serrer dans ses bras.
Plonger son regard dans le sien océan, se perdre dans ses yeux et y rester, au moins jusqu'à l'éternité.
Lui tenir les mains, comme la première fois, l'embrasser doucement, tout doucement, et lui murmurer tout bas des "je t'aime", des "ne me quitte pas".
Je l'écoutais, absorbée par son tendre récit : par ses mots, consacrée à elle, à son charme et sa beauté.
Je les voyais, sur ce pont, main dans la main, se parler sur ce ton que seuls les amoureux savent si bien employer.
Je n'aurais su dire si c'était des larmes qui, à cette pluie infinie, se mélangeaient ; mais si c'aurait été le cas, ça n'aurait pu être que des larmes de joie.
Il parlait, ne semblait jamais s'arrêter ; il l'aimait, et ça se voyait.
Oui, ce jour-là, il pleuvait, comme aujourd'hui, m'a-t-il dit.
Dans l’ombre.
Non, laisse-moi, je veux rester là.
Dans l'ombre, dans cette froideur,
Seule, sans toi,
Ni personne ; Dave, attend-moi.
Lui me suffit, ce malheureux de la nuit.
Il me comprend, il est patient ;
Il sait se montrer doux, comme violent,
Mais il me comprend, et cela devient suffisant.
On passe nos journées,
Muets, à se parler.
Nos regards se disent tout,
Mes yeux gris plongés dans le siens couleur nuit.
David, cet être maudit,
Qui se plaît à mes côtés,
Dont la présence seule me suffit,
Oui, suffit à apaiser ces journées qui me sont nuit.
Simple corbeau,
Il est pour moi pourtant tout ;
Tous deux enchaînés,
On se sait liés, à jamais.
L’homme au regard triste.
Un jour, j'ai rencontré un homme. Je m'en rappelle comme si c'était encore hier...
~
La nuit commençait à prendre sa place au soleil, et moi, je marchais pendant que ce dernier la suppliait de rester encore un peu. Et puis, sur un banc, je l'ai aperçue. Il était tout à fait banal. Sans savoir pourquoi, mes pas m'ont guidé jusqu'à lui. J'ai alors pris place à ses côtés. Pendant que je le dévisageais, il n'a même pas daigné lever le regard vers moi !
Il était triste jusqu'à sa montre, je le voyais bien ; son regard vide, sa respiration étrangement calme, imperceptible. S'il n'y avait pas eu ses doigts tremblants légèrement, on aurait pu le confondre avec une statue de marbre, posé ici, n'ayant sa place ailleurs.
J'étais persuadée qu'il n'avait pas de femmes, pas d'enfants, n'aimait pas les animaux non plus.
Mon regard scrutateur et dérangeant n'avait apparemment pas l'air de le gêner tant que ça. Il ne réagissait même pas quand je lui effleurais volontairement le bras. Il faisait peur. Un ressemblait... à un fantôme. Mais ça n'avait pas d'importance.
Soudain, j'ai commencé à parler. Je me suis vaguement présentée, et puis les mots allaient d'eux même, accompagnés de gestes. Je ne me rappelle même plus ce que je lui ai raconté. Je parlais, parlais à en perdre mon souffle, je parlais sans cesse ; je m'embrouillais, laissais échapper des rires gênés, des sourires maladroits. Et ce n'est que lorsque je vis ses yeux pâles se poser sur moi que je m'arrêtais en pleine phrase. Sans esquisser le moindre rictus, gardant son visage neutre -trop neutre-, il m'incita à continuer d'un hochement de tête. Je ne me repris qu'au bout d'un moment de silence, me perdant peu à peu dans ses prunelles noisette. Je recommençais mon récit de plus belle, regardant les étoiles avec nostalgie, le sol avec honte, ou l'horizon avec espoir.
Lorsque mes yeux vert émeraude déviait parfois sur lui, je pouvais y reconnaître un semblable de sourire, ou même un peu de quelque chose autre dans son regard que de la tristesse.
Les heures passèrent, je ne m'en rendis même pas compte ; son bras finis sur mes épaules frêles.
Puis arriva enfin ce qui devait arriver : j'avais fait défiler ma vie devant nos yeux, usant de mes talents de narratrices. Un lourd et pénible silence s'installa alors entre nous. Il m'a paru durer une éternité. Jusqu'à ce qu'il prenne la parole. Il avait une voix grave, mais agréable à entendre. Resserrant doucement sa tendre étreinte sur moi, il me parla à son tour de lui. Il m'a dit tellement de choses. Des belles et des malheureuses ; des joyeuses et des plus mornes. Mais comparé à lui, je lui posais des questions quand il restait flou, je commentais, j'approuvais. Sa voix s'enrouée parfois, ou devenait plus sombre, ou au contraire prenait un ton nostalgique, ou amusé. Il finit par un soupir, mélangeant tristesse, bien-être et confidence. A ce moment-là, j'en avais déjà les larmes aux yeux. Il m'a alors regardé, et a ri de bon cœur. Je ne compris jamais pourquoi, mais cela ne m'a pas empêché de l'y accompagner.
Ce qu'on s'est dit ce jour-là, on s'est promis de le garder pour nous. Et alors que la nuit était plus ravissante que jamais, il se leva. Il resta quelques instants, le regard rivés bien devant. Il se retourna ensuite vers moi, et, me gratifiant d'un sourire aussi sincère que la lune nous couvrant de sa lumière bleutée, il me dit "Merci."
~
Depuis lors, tous les soirs, lorsque le soleil implorait la lune de lui laisser ne serait-ce qu'une petite heure encore, je suis revenue à cet endroit, où j'ai rencontré ce mystérieux passant. Mais à mon plus grand regret, je ne l'ai plus jamais revue. Je m'asseyais alors sur ce même banc, et je repensais à cette soirée, que jamais je n’oublierais.
Crier quelque chose sur les toits, ou Roland casses-toi de là.
J'aimerais, sur les toits de Sunnyvale, crier mon désespoir, et ma folie, et que mes larmes coulent sur les toits de ma vie.
Ces voix, qui me hantaient autrefois, ne sont plus là.
Elles se sont tues, je ne les entends plus.
Non, à la place, c'est sa voix à lui, et ses de bombardier d'un bleu de jeans délavé qui m'empêchent chaque nuit de sombrer dans les bras de Morphée.
Je l’entends me parler, me parler d'Eddie, de Henry, et de tous ces autres junkies terrassés par la vie et l'oubli.
Je l’entends pleurer, à l'histoire de Charlie.
Tchou-Tchou, le petit train joyeux, il est mort et ne reviendra plus.
Il m'énerve, m'exaspère, j'en ai marre de lui, de ma vie, de ma folie !
Je veux crier, je veux crier sur les toits de Sunnyvale, je veux crier quelque chose et pleurer.
Je veux qu'il parte de mes pensées, de mes sombres pennées, qu'il ne cesse de hanter.
Je le revois sur Markey Avenue, ses cheveux sombres, ses yeux clairs, ses doigts en moins et ses revolvers.
Il me scrute, me détaille, j'ai mal et j'ai peur, je sais qu'il le sait, mais ne fait rien pour s'arrêter.
Son jean déchiré, ses lambeaux de chemise accrochés à son bras, il me regarde, il ne me sourit pas.
Et moi, j'ai encore et toujours, toujours cette envie, de crier, crier sur les toits de Sunnyvale, tout ce désespoir, cette folie, et cette envie : oui, j'ai envie, envie de crier quelque chose sur les toits de Sunnyvale.
Raconte-moi une histoire, Eddie.
"Eddie ?
-Flora ?
-Raconte-moi une histoire...
-Une histoire, tu dis ?
-Oui, une histoire, qui finis bien...
-D'accord. Ecoute-bien, Flora, parce que je vais te raconter une belle histoire (à vous en faire baver et chialer !)...
-Elle est triste ?
-Elle finit bien (ou pas). C'est une histoire qu'on m'a raconté il y a fort longtemps (ou que j'ai vécu, au choix). C'est l'histoire d'un preux chevalier (avec une chemise déchiré !).
-Il s'appelait comment, ce chevalier ?
-En fait, c'était un pistolero (un vrai, comme dans les films). Il se faisait vieux, avait quelques doigts en moins, et un rêve (ou une obsession, si tu préfères). Il rêvait tous les jours d'atteindre ce magnifique champ de roses sauvages (avec cette putain de saloperie de Tour au beau milieu) aussi écarlates que le ruban que tu aimes mettre dans tes cheveux blonds. Et il voyageait, jour et nuit, avec ses trois fidèles compagnons (épuisés, au bord de la folie, à qui on a rien demandé et entraîné là-dedans et avec le temps tout aussi obsédé que ce vieux con).
-Eux aussi ils voulaient voir ces fleurs ?
-Oui, ces fleurs les obsédaient.
-Mais c'est ridicule !
-Non, Flora, pas du tout (enfin peut-être un peu).
-Et c'est toi qui dis ça !
-Parce que ce que tu ne sais pas, gamine, c'est que ces fleurs, elles étaient magiques (comme mon cul, ouais !).
-Magiques ?
-Oui, c'est roses avaient le pouvoir de changer le monde (ou du moins c'est ce qu'on pensait, avec cette putain de saloperie de Tour au beau milieu).
-Leur monde à eux ne leurs plaisaient pas ?
-Non, parce que tu vois, entre temps, il avait changé (et vachement, faut croire, d'après lui).
-Ah bon ? En quoi était-il différent ?
-En beaucoup de choses ! Les abeilles étaient devenues blanches, les ours étaient tous malades... (Et pourrissaient de l'intérieur, j'déconne pas !)
-Eddie !
-Hmm ?
-Ils l'ont trouvé, ce jardin de roses ?
-Ca, ma petite, Flora, c'est une autre histoire... (Encore plus morbide, horrible, épuisante. Roland te la racontera un jour, peut-être ! Ouais, ce preux chevalier à deux balles...)
Sans titre. Oui, je peux vous l'affirmer : je me sens heureuse. Et je le suis. Je connais le bonheur ; je vous en parlerais. Parce que c'est une chose merveilleuse, pleine de couleurs. Lesquelles, je ne vous les citerais pas. Il y en a trop ; mais je les vois. Je vois le ciel bleu, ou gris, ou rose, je vois les nuages cotonneux, les oiseaux tous différents. Et puis les arcs-en-ciel, aussi. Vous les connaissez, ceux-là ? Parce que moi oui. Je vous les raconterais, promis. Ils sont grands, infinis, et si lointains. Mais c'est si jolie, avec toutes ces couleurs. Ça me donne envie de rêver ; et je le fais. Rêver, c'est pas compliqué. Je vous apprendrais ; parce que moi je sais : j'ai appris à rêver. Je n'y croyais pas, au début. Et vous n'y croirez pas non plus. Parce que c'est tellement magique. Et simple. C'est effrayant, la première fois. Mais je serais là. Je vous tiendrais la main. Pour commencer, on doit fermer les yeux. Le noir, ça me fait peur. J'en ai perdue l'habitude. Mais ça ne dure pas longtemps, cette sensation de vide. Parce que peu à peu, des choses, différentes, des arcs-en-ciel, et des nuages, et des oiseaux apparaissent. Encore plus beaux qu'en vrai. Je vous le promet. Vous verrez ; rien n'est pareil là-bas. Le ciel est plus bleu, le vent est plus tendre, la nuit plus câline. Et puis, là-bas, il n'y a rien. A part ce qu'on veut y voir.
Roland.Ecoute, Roland. Tu entend ? C'est le silence. Celui que laisse la Mort derrière elle. Ça me fait peur. La Mort, pas le silence. Le silence, il peut être si agréable. Tu le sais tout aussi bien que moi ; le silence, c'est le matin, c'est toi et moi, allongés dans le lit chaud, inlassablement enlacés, se murmurant quelques mots de temps à autres, avec cette même envie de rester là, sans faire de bruit, à écouter le silence infini. La Mort, c'est personne, c'est rien, même pas quelques paroles tendrement chuchotées. C'est le vide, l'absence totale de l'absence-même. Et ça fait peur, Roland. Très peur. Parce qu'un être qui ne ressent plus rien, ce n'est plus un être. C'est une chose inexistante. Oubliée de tous. Mais pourtant la Mort existe. Les sentiments nous composent ; sans eux, nous ne serions plus. Tu m'écoute ? Je suis là. Mais je ne le serais pas éternellement. Et ça, ça me fait peur, Roland.
Roland.Non, Roland. Tu peux bien me dire ce que tu veux, et même le faire passer à travers d'autres, des gosses, j'en aurais pas. Pourquoi est-ce que tu ne comprend pas ? Pourquoi est-ce que tu ne me crois pas ? Toi qui te vante si souvent de ta grande compréhension, et blabla.. Comprend alors que j'ai pas envie de faire souffrir inutilement d'autres. T'y as pensé, à ce gosse ? Tu as pensé à ce petit Jake ? Mais qu'est-ce qu'il deviendrait avec moi ?Quelle mère je serais ? J'ai déjà du mal à m'élever moi-même. Ça sera plutôt à lui de s'occuper de sa pauvre mère que le contraire.. Quand il sera encore tout minot, ça sera dur, mais j'arriverais quand même à lui faire chauffer du lait, je pense. Il passera ses journées à dormir. Mais quand il sera plus grand ? Tu imagines ? Il viendra me voir, me fera un sourire, et tout en soupirant, me demandera ce qu'il pourra bien encore faire de moi. Je sourirais, mais au fond, je me dirais qu'il a bien raison. On dit que donner la vie est la chose la plus merveilleuse au monde. Mais Roland, qu'est-ce qu'il y a de merveilleux à se faire déchirer les organes en hurlant par un gamin que t'as dû supporter neuf mois en toi ?Et puis quand il sera à l'intérieur, ça sera comment pour lui, tu crois ?J'lui ferais écouter du Three Days Grace et des pornos ?Peut-être que je lui raconterais tout ? Je lui dirais comment j'ai dû tout laisser pour lui alors qu'il demandait rien ?Ça peut paraître égoïste, je sais, mais je préfère faire passer ma vie avant celle d'un inconnu que je n'aurais même pas voulu. Sérieusement, Roland. Réfléchis. J'ai des rêves, des ambitions. Et le gamin n'en fait pas partit. Tu me suffis déjà.
Oui, je sais ce que tu dois te dire en ce moment-même. Parce que je me dis la même chose : j'ai peur. Ouais, encore cette saloperie qui me hante. J'ai peur d'être une mauvaise mère, de ne pas être à la hauteur. De ne pas pouvoir le combler, lui assurer cette heureuse enfance qu'il mériterait. L'aimer ?Roland, Roland.. C'est pas toi qui me le feras, ce petit Jake, de toute façon, hein ?
Danielle. Danielle, ma douce, ma belle, Danielle. Je crois bien que c'est la première fois que je t'écris à toi. Mais c'est parce qu'aujourd'hui, je pense à toi. Et j'ai envie de pleurer. Tu as beau être là, toujours près de moi, tu me manque. J'ai l'impression de sentir tes bras m'enlacer, me caresser. Je me revoit, ce jour-là, la tête posée sur tes genoux, les joues baignées de larmes. Même cette putain d'envie de vomir revient. J'ai dû mal à respirer, j'entends mon cœur battre. Ta respiration, tes yeux fermés. Je revoit ton sourire. J'ai peur. Je gémit, de douleur. Et toi, tu souris toujours. Ta main se ballade dans mes cheveux, la mienne serre ton genoux. Tu es silencieuse, comme toujours. Danielle, je m'endors. Mes yeux se ferment à leur tour. Mais j'ai pas envie, non.. Parce que je sais qu'à mon réveil, tu ne seras plus là. Peut-être Roland non plus ne sera plus là. Et tous les autres, aussi. Danielle, j'ai peur. Oui, la Mort me fait toujours autant peur. En fait, ce n'est pas le fait en lui-même de mourir qui me fait peur, mais de partir, avec cette pensée que là où j'irais, vous n'y serez pas. Parce que je me sens tellement seule, sans vous. Oui, si seule, Danielle. J'ai mal. Je me lève précipitamment pour dégueuler. J'en peux plus, je m'assoit par terre, et pleure. Je ne t'entend même pas arriver derrière moi et me prendre dans tes bras. Je ne me souviens plus de la suite. Je me souviens juste que je t'aime. Et que je t'aimerais toujours, Danielle. Toujours.
Danielle.Regarde, Danielle. La neige tombe. Elle paraît si blanche, et si pure.. Aussi blanche que ta robe ; aussi pure que ton âme. Tu t'en rappelle, de ce jour-là, Danielle ? Quand de tes propres mains tu as fait couler ce liquide que tu ne supportes pourtant plus sur cette même neige, blanche, et pure ?Moi, je ne m'en rappelle pas. Ce n'est pas le miens qui a coulé ; je n'étais pas là. Avais-tu aussi ce sourire accroché à tes lèvres rosées ? Est-ce que tu pleurais ? Est-ce que tu souffrais ? Dis-moi, Danielle. Est-ce que tu penses encore à lui ?Qu'est-ce que ça te ferait, d'en parler ? Dis-moi, Danielle. Pourquoi toujours garder le silence ? Ta voix.. Je ne l'ai pas entendue une seule fois. J'aimerais, pourtant. Je l'imagine.. Je l'imagine claire, et douce, et mélodieuse. Chantes-moi une chanson, Danielle. Racontes-moi une histoire. Dis-moi que tu m'aimes. Au moins une seule fois. Ça sera pour moi la plus belle des chanson, la plus belle des histoire, le plus beau des poèmes du monde. Alors s-il-te-plaît.. Dis-le moi. Juste une fois.