Aldea, qui pensait qu'il mettrait plus de temps à s'endormir que ça, s'était réinstallée au coin du feu, avec ce qui semblait être un pull qu'elle continuait a tricoter. Mais lorsqu'elle entendit du bruit dans la chambre, elle laissa le tout sur sa chaise et se leva, avançant sur la pointe des pieds. Si elle aurait su qu'elle aurait des invités, elle aurait au moins changés les draps, ceux-ci portent encore tellement son odeur que ça en devenait presque gênant, pour elle. Elle passa la tête par la porte légèrement entre-ouverte, et le regarda dormir ainsi, un moment. Elle finit par y rentrer, en essayant de faire toujours le moins de bruit possible, et éteignit les chandelles, plongeant la chambrette dans le noir. Elle en sortit et referma derrière elle. Restant derrière la porte quelques instants encore, elle épia le moindre bruit -ou le manque de ceux-là, justement- qui aurait pu lui faire comprendre qu'il ne dormait pas, et ne remarquant rien d'anormal, rejoignit de nouveau la cuisine. Aldea y alluma une autre bougie, et s'approchant de la grande porte en bois, qui passait presque inaperçue dans l'obscurité, entra dans la pièce ou cave après en avoir tourné la poignée. La maisonette retrouva de nouveau l'ombre.

Une fois arrivée en bas, la jeune fille essaye de faire le moins de bruit possible, malgré que, de temps en temps, cela s'avérait impossible. Impossible aussi de savoir combien de temps elle resta dans cette cave, mais quand elle en sortit, ce ne fût pas les mains vides et les yeux secs. Elle essuya d'abord d'un geste bien décidé ces gouttes d'eaux qui perlaient à ses yeux, mais une fois de retour sur sa chaise, près du feu, elle se laissa aller, et pleura, en silence, serrant contre sa poitrine ce qui ressemblait à un simple bout de tissus coloré. Elle pleura, longtemps, comme ça. Elle pleura tout, sa vie, sa famille, son village. Finalement, à bout de force, elle finit par s'endormir comme ça, la tête posée sans doute inconfortablement sur sa propre épaule.

Quand Aldea se réveilla, à cause des rayons soleils qui caraissaient tendrement son visage, elle s'étira en gémissant doucement, et se rendit compte qu'elle était dans son lit.. Elle se redressa brusquement, avec le souvenir d'y avoir vu le médecin hier et s'être elle-même endormie sur la chaise.. Elle regarda dans la pièce, mais personne, elle était vide. Dégageant alors les couvertures, elle jeta un rapide coup d'oeil sur la neige qui semblait s'être entassée pendant la nuit, et sortit de la chambrette. Elle remarqua Peter, près du feu déjà éteint, et revint dans sa chambre, avant de prendre les couvertures sur le lit. Avec juste son manteau, il a dû avoir froid, cette nuit.. Mais il paraissait aussi dormir si profondément. Alors, lentement, et en essayant de ne pas le réveiller, elle le couvrit, et remettant des bûches dans la cheminée, entreprit de le refaire vivre. Une fois terminée, elle entreprit de faire chauffer la soupe, et d'y ajouter encore quelques légumes, un vieux plaid pas très grand sur les genoux.

Pas tant concentrée que perdue dans ses pensées, elle ne l'avait même pas remarqué se lever, au début. Mais il la sortit vite de ses pensées, et un petit sourire vint prendre place sur ses traits doux, mais déjà ceux d'une femme. Elle le salua, gardant un oeil sur le feu, et s'être excusée du fait qu'il ait du dormir ici, sur le sol, elle lui demanda si ça ne le dérangeait pas de prendre deux assiettes et deux cueillères dans la cuisine ; une bonne soupe chaude les réchaufferait rapidement.

Aldea, se levant, la soupe dans les mains, qu'elle tenait dans un torchon. Elle s'approcha de la table, et le posa sur celle-ci. Elle regarda Peter, et cette fois, ce fût elle qui lui rendit son sourire.. Puis, l'air amusée, elle lâcha un petit rire :

"Pourquoi vous souriez comme ça ?", lui demanda-t-elle en s'asseyant et en levant les yeux sur lui. Elle était nettement plus jolie, lorsqu'elle souriait. Son visage était détendu, blanc comme la neige au dehors. Aldea mit derrière son oreille une mèche foncée d'un geste presque timide, attendant patiemment la réponse à sa question.

Voilà ce à quoi elle ne s'attendait guère. Surprise, presque comme dans un spasme, elle se mit droite, elle aussi, et serra doucement ses mains sur sa robe, sur ses genoux. Ses joues également s'empourprèrent, mais n'ayant rien pour le cacher, elle se contenta de baisser un peu la tête, comme si elle se disait que si elle ne le voyait pas, lui non plus ne la verrait pas. Un silence sans doute gênant pour les deux compagnons s'installa à table, pendant qu'elle servait à manger, toujours sans le regarder. Mais lorsque son regard croisa soudainement le sien de nouveau, elle se rappella de ses mots, et lui sourit. Personne auparavent ne lui avait jamais dit qu'elle était "belle". Et personne sans doute ne le lui redirait. Alors autant être belle, pour lui, en souriant. C'est si simple, après tout.

La jeune fille l'écouta, patiemment, sans rien dire, ayant évidemment entre-temps dévié son regard du sien. Et lorsqu'il eut finit, dans un pur hasard et un léger cri de surprise étouffé, sa main dérappa et elle se renversa de la soupe sur les genoux. Heureusement, celle-ci, pas brûlante, ne lui arracha qu'une grimace, suivit d'un sourire un peu gêné :

"Que je suis maladroite.. Je.. Je suis désolée, je vais aller me changer." Elle se releva, peut-être un peu trop brusquement, et toujours sans le regarder, partit s'enfermer dans la petite chambrette.

Comme s'il n'en avait déjà pas fait assez. Pourquoi seulement était-il venu à Heavenfall ? Peut-être que ça n'aurait pas été plus mal, que, finalement, elle meurt ? ll avait raison. Ce n'était pas une vie qu'elle avait ici. Et, dans ces rares moments où elle y pensait, bien sûr qu'elle rêvait d'autre chose. Mais elle ne pouvait pas. Elle s'était engagée. Et elle tiendrait ses promesses. Parce qu'eux les ont toujours tenus ? Ou peut-être parce qu'ils se ressemblent trop, au fond, et qu'elle ne comprend que trop bien leur douleur et leur souffrance pour les abandonner ? Aldea n'en savait rien. Peut-être était-ce pour ça, ou, comme elle aimait à se le dire pour clore ce débat intérieur "Dieu en a voulut ainsi, ainsi il en sera".
Elle ouvrit en grand la fenêtre, laissant l'air glacial s'insinuer sous ses vêtements. Ca lui fit l'effet d'une douche gêlée, et elle la referma rapidement après s'être calmée. A peine avait-elle ouvert l'armoire qu'elle entendit Peter lui demander si tout allait bien. Si tout allait bien ? Non, bien sûr que tout n'allait pas bien.

"Oui, oui, tout va bien !" Aurait-elle voulut répondre. Mais à la place, elle se laissa juste glisser sur le sol, contre l'armoire. Aucun son ne sortit de sa bouche.

Elle n'aurait su dire combien de temps elle était restée ainsi ; peut-être même s'était-elle endormie ? Elle en doutait, mais ses souvenirs étaient flous, comme ses yeux l'étaient à cause des larmes. Mais comme à chaque fois, un sentiment de devoir le reprit sur tout, et comme si de rien n'était, elle se releva rapidement, se changea tout aussi vite, laissant négligamment sa robe sur sa chaise, et sortit. Elle prépara un sourire qu'on aurait largement pu prendre pour sincère, à la fois désolé et gêné, mais à sa surprise, il n'eut personne pour le reçevoir..

La cave. Ce fût la première chose à laquelle elle pensa, et comme une dératée, parcoura les quelques mètres qui la séparaient de cette lourde porte pourtant si bien scellée. Mais la porte l'était toujours autant. Ce qui ne voulait dire plus qu'une chose : Peter était sortit. Elle n'avait aucune idée de pourquoi, ni de quand, mais cette fois, son instinct qu'on aurait presque pu appeler de maternel s'alarma. Seul, dans cette fôret ! Elle balaya l'idée que quelqu'un aurait pu venir. Personne ne s'aventure ici, surtout en plein hiver, et Aldea était de surcroît une des rares à connaître l'endroit et la fôret comme personne. Mettant rapidement une couverture sur ses épaules, elle courrut au dehors, espèrant que la neige qui avait entre-temps de nouveau recommencé à tomber n'avait pas totalement recouvert ses pas..
Si Peter se perdait ici, c'était finit. La fôret était extrêmement danse, et si Aldea avait des marquages -qui ne lui servaient plus vraiment, maintenant, à vrai dire- connu d'elles seule au cas où elle se perdrait en allant en ville, lui, n'avait absolument rien. Surtout qu'en hiver, tout se ressemble presque à l'identique ici. Et le froid qui n'arrange rien.. Les membres s'engourdissent, vous avez l'impression d'avancer, sur le bon chemin. Mais si vous vous perdez, vous ne risquez pas de vous retrouver.

Mettant sur ses épaules la couverture qu'elle trouva encore sur la chaise, elle sortit. Elle essaya d'abord de courir, mais se rendit vite compte que ça ne ferait que la relentir en plus de la fatiguer. Aucune trace de pas visibles ; la neige avait déjà tout recouverte. Elle pesta doucement d'entre ses dents, et essaya malgré tout de retrouver une petite trace de Peter. Mais plus elle avançait, et moins elle avait l'impression de s'approcher du but. Et si il avait finalement trouvé le bon chemin ? Et s'il était arrivé en ville ? Ca devait bien faire une demie heure qu'elle cherchait, et son propre corps se gêlait, chaque inspiration lui glaçait les poumons et lui était douleureuse. Pour autant qu'elle connaisse cet endroit, Peter n'aurait pu aller plus loin.. Mais pourtant, au fond, quelque chose lui intimait de continuer. De ne pas partir tout de suite. Une demie heure, c'était peut-être pas assez, mais dans ce froid, et avec les seuls vêtements qu'ils avaient, c'était énorme..
Aldea se racla la gorge, et prenant une autre grand inspiration, cria de toute ses forces :

"Peter ! Peter !" Elle cria son prénom ainsi plusieurs fois, tout en continuant d'avancer, mais pas trop loin ; elle savait qu'elle était au milieu de la "principale partie de la fôret", comme elle l'appelait. Celle où l'on pouvait se perdre, mais où on avait encore une chance. Les arbres n'étaient pas trop rapprochés, et on pouvait s'y aventurer presque tranquillement, à condition de connaître l'endroit. La seconde partie, on avait peu de chance de retrouver quelqu'un ; même Aldea ne la connaissait pas si bien que ça. Et sans doute elle n'y irait pas.

Elle haletait, respirant de grandes bouffées d'air glacé qui lui arrachaient de petits gémissements involontaires, tellement sa gorge et ses poumons lui faisaient mal. Puis elle fût prise d'un de ces moments de panique indomptable qui prennent lorsqu'une situation semble vous échapper totalement. Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle les essuya d'un geste sûr. Ce qui ne ls empêcha pas de revenir. Elle essayait de se reprendre rapidement en main, et de continuer d'avancer pour ne pas perdre de temps, lorsqu'elle entendit enfin un bruit, autre que son propre coeur battant à tout rompre et qui lui parvenait jusqu'aux tempes. Un bruit, ou même plutôt une voix, qu'elle ne devina pas tout de suite, et qui venait du côté opposé. Se retournant brusquement comme si elle crût qu'il était derrière elle, elle regarda, au loin, un instant immobile, comme un chien de chasse qui, apperçevant la proie, s'arrête presque de respirer et se concentre pour la localiser au mieux. Le bruit se reproduit plusieurs fois, et Aldea se mit à courir vers celui-ci. Elle ne faisait plus attention à rien, ni au vent sifflant dans ses oreilles, ni aux branches ou autres choses cachées par la neige sur lesquelles elle trébucha maintes fois ; elle courrait aussi vite qu'elle le pouvait, ce qui, en soit, n'était pas très rapide. Mais arriva un moment où l'air commençait vraiment à lui manquer ; elle tomba, et cette fois, se relever fût beaucoup plus difficile. Son corps, réchauffé par l'effort, se refroidit presque aussitôt, une fois dans la neige froide. Mais Aldea ne pouvait pas se permettre ça. De un, parce que Peter était tout proche -elle en avait maintenant la conviction- et de deux, parce que si elle ne se relevait pas rapidement, elle allait simplement se geler sur place. Aldea, repoussant alors une mèche de ses cheveux noirs de son visage pâle, se releva tant bien que mal, et à peine fût-ce fait, elle vit la belle jugement de Peter arriver. Ses jambes tremblèrent et faillirent la lâcher de nouveau, mais cette fois, de soulagement. Elle cria son nom et se précipita vers lui. Ses mains horriblement froides tremblaient elles aussi. Elle en posa une sur sa joue, puis le secoua doucement, puis un peu plus fort en murmurant toujours son prénom.