Dehors, la neige avait finalement arrêter de tomber. Le ciel était dégagé ; les étoiles étaient tellement nombreuses qu'on s'y perdait rien qu'en les regardant. Et eux, machaient, épuisés, laissant derrière eux un fin tracé de sang : du leur, des leurs. C'était à présent à celui qui lâche le premier. Et finalement, quelques mètres après, une des grande silhouette encapuchonnée tomba à genoux. Silencieuse, l'autre, lui ressemblant trait pour trait dans cette profonde nuit, l'aida à se relever.

"Je n'en peux plus.. Se fit entendre une douce voix, fatiguée, dans un murmure.
-Tiens bon, je vois.. de la lumière, là.. Regarde, regarde.." Lui répondit, sur le même ton, la seconde, un peu plus grave.

Encore quelques mètres, et ils pourraient enfin s'allonger dans un vrai lit, fermer les paupières, et, essayer, au moins le temps de quelques rêves qu'ils espèraient plus doux que les derniers, oublier les horreurs de la guerre. De cette guerre de clans, de pays, de peuples, dans lesquelles il vaut mieux être bourreau que victime. Mais pour avoir la chance d'endosser ce beau rôle, il faut se battre ; ce qu'ils ont fait. Jusqu'au dernier. Pestant la mort dans tous les sens du terme, couverts de sang, de blessures encore fraîches et vives, ils avançaient, soldats solitaires, capuches rabattues sur leurs visages desquels plus aucune émotion n'émanait. Faux entre les doigts, pieds nus, vêtements déchirés pour l'une, épée étincellante suspensu à la hanche, tout de fer brillant vêtue, on aurait dit voir la Mort en personne, accompagnée d'un ange des cieux. Plus que quelques mètres, la lueur des bougies fondant chaleureusement dans la taverne se fit plus claire et lumineuse. Encore un peu. Le froid ne semblait guère les atteindre. Enfin devant la porte ; il eut à peine la force de la pousser avant de s'effondrer presque sur la chaise la plus proche. L'autre, avec lui, s'évanouit.

Pour celui à la lourde armure et à la cape déchirée, ils durent s'y mettre à quatre pour le monter. Grand comme il était, qui plus est, ce ne fût pas chose dû. La capuche qui était entre temps retombée dévoilait un visage aux traits dur, mais pourtant si bien dessinés ; de larges et d'autres plus fines cicatrices lui ornaient les joues, le front, le nez, le menton. Sa peau légèrement sale et bronzée les faisait horriblement ressortir. Il avait la bouche légèrement entre-ouverte, elle aussi couverte de sang. Pourtant, allongé sur le dos de la sorte, il paraissait si paisible, comparé à cette autre jeune fille à ses côtés. On aurait dit que dans son sommeil encore, elle luttait. Les poings serrés, ses phalanges devaient être bien blanches, sous ses longs gants en cuir durs qui lui arrivaient presque au coude. Mais son visage, si tendre, aux lèvres si fines.. Avec tout ce sang, et cette crasse.. Quel magnifique tableau des plus paradoxals. Grande, mince, et belle comme une fleur qui viendrait juste d'éclore au printemps.. Une fleur qu'on aurait arrosé de sang.


Une bonne demie-heure plus tard, les yeux du guerrier s'ouvrirent enfin, péniblement. Il s'étaut au moins attendu à un mal de tête affreux, des membres impossible à bouger, ou quoi que ce soit encore. Mais rien ! Certes, des douleurs persistaient, et sans doute pour une personne non habituée c'aurait été insupportable, mais lui, ne sentait déjà presque plus rien. "La douleur, c'est comme les chapeaux : à force d'en porter, tu finis par les oublier !", lui avait-on dit, un jour.. Puis, à ses côtés, il la vit. Et tout lui revint en mémoire, d'un coup. Il se jeta presque sur son corps inerte, la serrant de toute ses force dans ses bras, en murmurant "Nephy, Nephy..". Mais la prénommé "Nephy" était toujours inconsciente. Elle respirait, et c'était sans aucun doute grâce à la magie de la jeune demoiselle allongée à même le sol -que le grand homme venait tout juste de remarquer- que la plupart de ses graves blessures étaient soignées. Il soupira, sans doute de soulagement, et la reposa doucement, mettant la couverture sur elle.
Se relevant, ensuite, il s'approcha doucement de la belle donzelle à ses pieds. Se baissant, et posant un genoux à terre, il la souleva comme à la façon "princesse", et devina rapidement que c'est elle et personne d'autre qu'il devra remercier. Elle avait un doux visage, et sans doute d'assez longs cheveux ébène. Poussant la porte du pied, il en trouva d'autres, et choisissant une chambre un peu au hasard, y déposa sa sauveuse sur un lit.

Malgré la fatigue qui se lisait visiblement sur son visage, à lui aussi, il lui sourit doucement :

"C'est grâce à vous. Nous vous sommes des plus redevables. Merci encore. Il s'inclina comme il se doit, avant de se redresser, arrangeant ses cheveux châtains trop longs d'un geste évasif de la main. Vous ne devriez pas vous levez si rapidement.. Reposez-vous."

Il n'eut même pas le temps de répondre qu'elle s'en alla déjà, rapidement, discrètement. Le jeune homme ne comprit pas tout, mais sortit aussi, autant pour vérifier qu'elle ne tombait pas en route que pour rentrer auprès de Nephy. Mais à peine fût-il près du lit, le livre qu'elle avait apparemment oublié pour le lui ramener, il entendit un cri perçant. Ca venait de là-haut. Sans vraiment réfléchir, il reposa le lourd grimoire, et se précipita vers sa source -peut-être un peu trop vite, car la tête lui tourna, l'obligeant à s'arrêter sur le pas de la porte. Il grimaça, attendit quelques secondes que ça passe, et repartit, un peu plus prudent, cette fois. Il arriva enfin à ce qui semblait être un grenier. Il y revit la demoiselle de toute à l'heure, et.. une chose d'une laideur sans nom penchée à sa lucarne..

Son épée.. Du moins, pas vraiment la sienne, mais à lui. Voilà ce qu'il cherchait. Cette lourde lame de fer qui lui avait pourtant tant que de fois sauvé la vie cette journée-là. Il ne la retrouvait plus. L'avait-il sans doute laissé dans la chambre.. Mais plus le temps de redescendre. Il fallait faire quelque chose, trouver autre chose, et vite. Sans sa faux, il ne pouvait pas faire grand chose.. Et cette lourde armure à laquelle il a dû s'habituer bien rapidement. Usant alors de la force de ses jambes, il prit le peu d'élan qu'il put et sauta sur la bête en hurlant, la faisant tomber du lit, sur le sol. Voilà qu'une seule chose prenait prenait le dessus sur tout le reste : la peur, la pitié, plus rien n'existait à part cette seule envie de tuer, encore et encore. Il balanca son poing ganté de toute ses force sur son visages, tandis que de l'autre, il empoignait sauvagement son cou, le tenant fermement. Assis à même sur la bête, du sang même pas rouge giclait sur son armure déjà sale. Il ferma un oeil lorsque le liquide encore chaud de la bestiole lui éclaboussa le visage. Elle paraissait déjà morte, sous ses coups puissant, mais une telle rage semblait l'animer, qu'il ne s'arrêta pas.

(Wooah, désolée pour toutes ces fautes illogiques dans mon post précédent ; j'ai édité..).


Essouflé, il avait les yeux comme couvert d'un voile transparent ; on dit que les grands maîtres l'arborent pour ne pas voir l'horreur qu'ils commettent de leurs propres mains. Et lorsqu'il se retourna vers la jeune fille, il avait toujours les yeux aussi vide. Avec son armure, il ne l'avait même pas senti le toucher. Cette scène lui était étrangement familière ; mais il n'avait aucunement envie de s'en rappeller maintenant. Il entendit bien la douce et tremblante voix de la serveuse, mais n'eut non plus aucune envie de lui répondre. Il ne savait même pas de ce qu'il avait encore envie. Déjà peut-être de s'enlever tout ce sang qui l'a pourtant toujours dégôuté de lui..

"Vous n'auriez pas de l'eau ?" Lui demanda-t-il simplement, en se relevant, et en prenant la chose, gisant, inerte au sol, qu'il jeta par la fenêtre comme un simple déchet sans importance.

Il hocha le menton, de haut en bas, doucement, alors que ses yeux reprenaient peu à peu leur humidité habituelle. Ils étaient clairs, d'un gris presque transparent. Il regarda la jeune femme, avec cette bassine -qui ne devait pas être légère- qu'elle a dû monter jusque là-haut. Il regarda aussi sa petite chambrette, presque entièrement vide, et se dit que même les tantes qu'eux plantaient un peu partout dans le monde au cours de leur voyages étaient plus agréables, et peut-être même plus confortables. Quoi qu'il ne soit, il évita de faire perdre plus de temps à la demoiselle et s'empressa de dévisser son armure, bout par bout, ne pouvant faire autrement, demandant de temps à autre de l'aide à la demoiselle. Comme il semblait mieux, maintenant, enfin liberé de tout ce poid ! Sa tenue -la petite cape arrivant aux épaules avec une capuche, le t-shirt et le pantalon en toile fine, les mitaines en cuir-, ressemblait énormément à celle de la prénommée Nephy, qui l'accompagnait, à la seule différence qu'elle portait une longue jupe et un bustier, qui laissait voir un ventre plat et fin. Sa tenue à elle, aussi, était d'un de ces gris qu'arborent les matins pluvieux, alors que lui, elle était d'un bleu vif, comme ces papillons colorés desquels on ne peut arracher le regard, tout en étant discrète. Les bouts de métals maintenant séparés et mis au sol, il s'assit sur le lit en s'étirant, et lâcha un petit râle mélangeant à la fois bien-être et douleur.

Aussitôt cette armure enlevée et déjà un peu plus propre, le jeune homme, qui devait avoir une trentaine d'année, semblait différent. Pas beaucoup, mais quelque chose avait tout de même changé.
De ses prunelles argentées, il suivait chaque geste de la serveuse ; sans doute un réflèxe de précaution, malgré que ces derniers soient des plus doux. Peut-être même encore plus que ceux de Nephy ? Il n'en savait rien, mais sentir d'autres mains sur son corps, différentes, réelle le fit frissonner. Le dur et rapeux cuir des gants de sa jeune accolyte aux cheveux aussi gris qu'une pièce d'argent tout juste nettoyé étaient loin de produire le même effet qu'une douce peau; légèrement chaude. La chaleur. Cela fait si longtemps qu'il n'en avait plus ressentit. Que ce soit avec la neige, ou Nephy, qui lui était presque comparable.. Il sentait qu'il partait encore dans de lointains souvenirs aussi vieux que le temps ; mais fort heureusement, la jeune fille l'en sortit bien rapidement. La bête.. Il l'avait presque oublié. Comme tous ces autres gens qu'il a tué.
Elle parla, le regarda, il la regarda. Elle rougit légèrement ; c'était mignon. Voir toutes ces choses, ces réactions, naturelles, ces petits gestes le rendit presque mélancolique. Et il en revint à Nephy, et à toutes ces choses qu'elle ne faisait pas. Elle ne souriait pratiquement pas, ne le regardait qu'à peine, parlait peu.. Ses joues restaient toujours aussi pâles, sa peau toujours aussi froide. Il ne s'expliquait jamais pourquoi toujours revenir à elle, et à toutes ces choses qu'elle n'a pas. Nephy n'est pas une femme comme les autres. Elle est dévouée à un seul homme, et sans doute le restera-t-elle à jamais. Mais cette fois, lorsqu'il a vu tant de sentiments mélangés au sang sur son visage.. A cette époque-là, elle était encore vivante.
Il lui fit un léger signe, et, se relevant un peu, enleva son t-shirt pour facileter le travail, découvrant quelques autres blessures sur le torse, et un large tatouage d'un noir profond partant de l'omoplate gauche, et descendant plus bas. C'était le symbole des Lanciers du Soleil, la plus grande communauté regroupant tout sorte de combattant, pour veiller sur cet immense pays et ses habitants.

"Appellez-moi Gehraz. Dit-il de sa voix grave, qui avait pourtant quelque douce intonation qui la rendait plus que rassurante et agréable, avec un sourire sincère, de ces sourires qui en disent bien plus que la plupart des mots. Et vous donc ?"

Bien sûr, il remarqua sa surprise, mais n'en fit aucun commentaire. Si Nephy aurait été là, elle aurait soupiré en levant les yeux au ciel. Ce genre de comportement semblait l'agaçer au plus haut point. Elle se considérait toujours normale, ce qui était une de ses plus graves erreurs..
Gehraz attendit patiemment la réponse de la jeune fille, et lorsqu'elle l'eut faite, il reprit ce petit sourire et répéta son prénom, doucement, comme pour bien se dire de ne pas l'oublier.

"Et comment doivent vous appeller les "pas-tout-le-monde" ?"

Quelques étages plus bas, la jeune fille venait tout juste d'ouvrir ses grands yeux de la couleur du ciel et de l'eau sur un plafond en bois. Elle ne semblait pourtant pas moins détendue. Ses nombreuses plaies et blessures qu'elle avait il n'y a encore pas si longtemps que ça avaient toutes disparues, laissant place à cette peau lisse et parfaite. Comme si ses cellules se regénairaient bien plus vite que la normale. Elle se leva brusquement, jetant la couverture violemment au sol. Elle lâcha un cris, pas fort, mais indescriptible. Elle se laissa tomber du lit, s'asseyant d'abord contre celui-là, se tenant toujours la tête entre les mains, comme si celle-ci allait d'un coup se détacher du reste de son corps pour partir. Un autre cris s'en suivit ; elle se releva, et atteignit avec peine le mur d'en face. Plaquant son front contre celui-ci, on aurait dit qu'elle croyait que ce dernier allait absorber sa douleur. Elle tappa de son poing ganté contre le mur, murmurant des paroles inaudibles comme pour elle-même. Et ces paroles ne se firent enfin entendre que lorsqu'elle arriva, silencieuse, vacillant légèrement, quelques étages plus haut : "Son âme, âme..", répétait-elle comme une vieille comptine. Mais lorsque ses murmures devinrent cris, et que Gehraz l'ententendit tout juste, ce fût déjà trop tard : Nephy était au septième étage, dans la petite chambrette sous les toits ; elle ne criait plus, et ne semblait même plus avoir mal. Elle répétait juste d'une voix que Gehraz savait être celle de l'autre : "Son âme.. Il me faut.. Donne.. moi.." Les mots sortaient difficilement d'entre ses fines lèvres, et ses grands yeux vides ne quittaient Finna. Le derviche, que la jeune demoiselle prenait sans doute pour un guerrier à cause de son dernier accoutrement, n'eut le temps que d'effleurer à peine le bras de Nephy que cette dernière, faisaint preuve d'une force surprenante -bien au-delà de celle de Gehraz- le balanca par le poignet contre la fenêtre. Gisant, au sol, il gémit, et une fois de plus, elle l'avait dépassé : à peine se fût-il relevé qu'elle avait déjà mise Finna contre le mur, et la tenait d'une seule main, essayant d'enlever de l'autre son gant avec les dents.

Mais apparemment, la vraie Mort, elle, ne voulait pas de la jeune fille. Le geste à vu d'oeil stupide et sans intérêt parut surprendre jusqu'à la derviche toute de gris vêtue. Sous le contact de cette eau, ses yeux s'écarquillèrent un instant, et quelques secondes, elle arrêta tout. Quelques secondes qui suffirent à Gehraz de prendre sa tête dans une de ses main et de la plaquer contre le mur. Mais la violence avec laquelle il l'eut fait, et la rage dans ses yeux étaient à présent tout différents. Il ne l'a pas tué, juste assomé, mais même s'il dû un jour lui prendre la vie, jamais il ne le fera comme il a fait pour toutes ces autres. Il la rattrappa dans ses bras alors qu'elle commençait à tomber à la renverse, saignant un peu crâne. Ce n'est que maintenant qu'elle semblait totalement paisible, endormie tendrement. Mais Gehraz, lui, ne fût pas plus calme. La soulevant du sol et la tenant d'un bras, il examina rapidement Finna, au cas où elle lui aurait laissé une marque. Mais rien. C'était déjà ça.

"Je suis vraiment désolée pour tout ça.. Dit-il rapidement, l'air un peu perdu. La cave est en bas ? Amenez-moi y des cordes, solides, vite, avant qu'elle ne se réveille et.." Il parlait rapidement, et sans attendre de réponse, ni finir sa phrase, il lanca un dernier regard à la serveuse, un regard dans lequel il semblait muettement la prier de mettre fin à tout ça, comme si elle en eut les moyens, et il descendit en courant.

Lorsque la jeune fille arriva, Gerhaz était assis par terre, dans cette cave mal éclairée et humide. Il tenait Nephy contre lui, toujours endormie, le menton posé sur ses cheveux argentés. Il ne faisait guère attention à la musique plutôt forte, mais qui s'atténuait ici, et se redressa en voyant Finna, prenant les cordes. Il l'assit contre un mur, et lui noua fermement les poignets et les chevilles, avec deux cordes, et lui attacha encore les mains sur une poutre. Toutes ces précautions pourraient paraître exagées, mais Finna elle-même avait vu de quoi elle était capable.
Il resta un instant debout, devant elle, et après lui avoir déposé un rapide baiser sur le front, il prit la jeune serveuse par la main, et l'entraîna rapidement en dehors.

"Pouvez-vous fermer, au maximum ?" Lui demanda-t-il en refermant la lourde porte derrière lui.