Et cette fois, ce fût Gehraz qui détourna le regard. Il posa ses prunelles sur la porte, comme si à travers, il pouvait la voir, et, soupirant, dit :

"Montons, elle ne va pas tarder à se réveiller. Je vous raconterais là-haut." Il soupira de nouveau, se passa rapidement une main sur le menton dans un geste évasif, avant de remonter dans la chambre dans laquelle ils s'étaient réveillés. Il se laissa choir sur le lit, ne prenant même pas la peine de se tenir droit, et fixait inlassablement un point imaginaire sur le sol.

Encore cette main. Si douce, si chaude.. Comme quand il l'avait pris, toute à l'heure. Et il eut étrangement envie de le refaire. Il tourna la tête vers elle ; elle était encore plus belle, les cheveux détachés. Ses doigts bougèrent dans un léger spasme, puis il les avança, et les posa doucement sur ceux de Finna. Un sourire vint fendre son visage. Gehraz n'avait encore que vingt-huit ans, mais parfois, il paraissait prendre au moins dix années d'un coup. Il resta ainsi, à la regarder, à la contempler, à la lueur des bougies dansantes. Il finit par enlever sa main, et se tourna vers la fenêtre. S'humectant les lèvres, il commença :

"Vous connaissez bien évidemment Grenth. Dit-il en parlant de ce puissant Dieu de la Mort et de la Glace tant redouté par bien plus que les humains. Et pourtant, peu connaissaient sa réelle histoire.. Gehraz reprit, ne parlant pas très fort, et se retournant avec ses grands yeux gris et redevenus froid vers la serveuse : Mais savez-vous ce qu'on appele les Doigts de Grenth ?"

(Sa main, pas ses cheveux ! x3)


Un frisson de dégôut lui parcourut l'échine au souvenir de ces.. doigts. Ce même frisson qui doit parcourir tous ces futurs morts qui s'endorment sur cette horrible image dans les yeux. Le jeune homme inspira profondément, comme pour se les chasser de l'esprit, mais y parvint-il, seulement ?

"C'est ce que Nephtys a eu. En échange de son âme. Dit-il, les yeux se perdant de nouveau dans quelque lointain et étrange monde. Il savait qu'il allait parler sans crainte. De toute manière, qu'est-ce que cela pourrait bien lui apporter, à cette serveuse ? Sa curiosité serait combler, et Gehraz un peu soulagé.. Il n'a jamais refuté les biens-faits de la parole. Ces doigts, et ces mains.. qu'elle porte sous ses gants.. Sont l'arme ultime. Elle peut absorber l'énergie de n'importe quelle chose vivante, avec. Ce qui lui procure aussi jeunesse et immortalité presque éternelle.." Il s'arrêta, un instant, et se tourna doucement vers Finna, s'attendant peut-être juste à un petit signe, ou quoi que ce soit.. d'humain.

Le jeune homme regarda, attentivement, chacun de ses gestes, et une fois de plus, fût presque fasciné par toutes ces réactions que les humains normeaux pouvaient enchaîner en moins de trois minutes. Sans doute voulut-il faire quelque chose, mais il sembla se résigner au dernier moment, et croisant les mains entre ses jambes écartés, il continua :

"Ce n'est pas la jeunesse et l'immortalité, que Nephtys veut. Elle veut juste une vengeance. Et c'est le seul moyen d'y parvenir."

"Ha.. Dit-il d'abord doucement, forçant un petit sourire sur son visage en relevant la tête. Il regarda devant lui, de cet air évasif qu'il semblait prendre si souvent. Comme si le passé n'était que le passé, et que quoi qu'il arrive, il continuera d'avancer. On voyait bien dans ses yeux que toute souffrance n'était que passagère. Peut-être ça vaut mieux pour lui ; il ne semblait pas avoir eu une vie des plus simples ; s'en sortir avec toutes ces douleurs aurait été impossible pour quiconque, à moins de les oublier et de les laisser passer. C'était un homme d'avenir ; on aurait dit qu'il y était déjà. Vous savez, depuis le premier jour, son histoire m'a tellement bouleversé que sans même le vouloir, j'en ai fait mienne. Et je crois que si on en est là, tous les deux, aujourd'hui, c'est qu'elle l'a deviné. Ne vous en voulez pas d'être curieuse ; ça fait du bien, d'en parler, de temps en temps.."

Se redressant, lentement, comme un oiseau aux ailes cassées maintenant guéri, à peur de se rendre compte qu'il ne peut plus voler. Il se tourna vers la jeune fille, et lui trouva quelque chose d'enfantin. Il souriait toujours. Elle ressemblait à ces enfants, qu'ils croisaient dans d'autres villes, et qui, voyant arriver les Lanciers, se précipitaient vers eux pour qu'au soir, ils leurs racontent leurs valeureux exploits ; comme ces enfants, ses yeux étincellaient et elle semblait prête à boire toutes ses paroles, sans en renverser une seule goutte. Alors, il reprit, se retournant de nouveau droit devant, et fixant cet avenir qu'il s'imaginait déjà sans peine :

"C'était il y a bien plus d'une dizaine d'années de cela. Il sentait que son côté d'orateur allait rapidement prendre le dessus, et ça n'était pas pour le déplaire. Je venais tout juste d'être promu Lancier, et voilà que je fis déjà mis sur une affaire de la plus haute importance. A dire vrai, nous y avons tous été mis. A Kormir, un homme, un seul, avait déclaré la guerre : Graily Arwhen Grenth. Il était d'une puissance et d'une force sans pareille.. Quand on m'avait dit qu'il avait déjà terrassé plus de la moitié de cette immense communauté, je ne les avais pas cru. Mais quand je me suis rendu sur place, et que j'ai vu.. toute cette glace, et ce froid dans cet endroit exotique.. Je n'en revenais toujours pas. En apparence, ce n'était qu'un simple homme : mais même à des kilomètres, on pouvait sentir cette rage incompréhensible qui l'animait. Personne ne sût jamais ce qu'il lui avait prit de terroriser, détruire ainsi Kormir. Tout le monde passa, jusqu'aux femmes, et aux enfants, même les plus jeunes.. Il les tuait un par un, yeux dans les yeux. Nous n'avons rien pu faire. Presque personne n'a pu y échapper. Nous avons malgré tout continué de chercher, récupérant le plus de survivants possible. On aurait dit qu'ils ont été volontairement laissés pour vivants. L'évacuation prit du temps ; c'est grand Kormir ! Au bout de cinq de longs jours dans ces ruines, nous rassemblions nos affaires ; il était l'heure de partir. Mais pourtant, et je ne saurais l'expliquer, ça non plus, quelque chose m'a dit d'y retourner. De vérifier une dernière fois. Et j'ai bien fait. Tout près d'une marre de Longeche, ces crocodiles vicieux, et intelligents, j'y ai vu une gamine. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il fit une pause, passant aussi sans doute volontairement un passage. C'était Nephtys. Elle n'avait que sept ans, encore. Et.. Et la seule chose que j'ai lu sur son visage d'enfant n'était que de la colère. Cette même colère qu'avait Grenth. Sauf que la sienne était tout à fait justifiable. Depuis, je l'ai pris avec moi. Elle assistait aux entraînements, et me suivait partout. Il sourit encore une fois, sans doute en se remémorant ces temps passées. Six ans après, elle me dit qu'elle allait partir. Elle n'avait que treize ans, mais déjà une telle mâturité.. Inconsciemment, je savais que ce moment allait arriver. Mais je n'y étais pas préparé. Et pourtant, je ne dis rien. Je n'ai rien fait pour la retenir, ou l'empêcher de partir. Peut-être n'y croyais-je pas moi-même ! Mais ce fameux soir, lorsqu'elle l'appella et que j'étais avec elle.. Gehraz ne prit bien évidemment pas la peine de préciser qu'entre temps, Grenth, mourant, avait mérité le stade de Dieu de la Mort et de la Glace.. Je me suis soudainement revue à Kormir, avec ce même froid glacial.. Nephy, elle, restait de marbre. Je savais bien qu'elle n'avait qu'une envie, lui sauter dessus, mais elle resta bien droite, et pas une seule fois ne baissa les yeux. Son courage m'a une fois de plus surpris.. Elle fput brève, et directe. Elle lui dit simplement.. Qu'elle était là pour le tuer. On aurait que tout le reste de la conversation se passait dans leurs yeux. D'ailleurs.. Il lâcha un petit rire, malgré qu'il n'y eut rien d'amusant, et reprit par la même occasion sa respiration. Il était tellement à fond dans son récit, qu'il ne respirait même presque plus ! Mais c'était tellement captivant qu'on ne respirait même plus avec lui. Ils avaient exactement les mêmes yeux. A partir de cette nuit-là, je ne l'ai plus revue pour les deux années qui suivirent. Ce fût long, mais pour elle encore plus. Le temps est différent, là-bas. Elle n'aimerait pas que je te le dise, mais c'était la seule fois où je l'ai vu pleurer. Lorsqu'elle est rentrée. Elle avait tellement changé.. C'était déjà une vraie femme. On s'est assit, alors, et elle m'a tout raconté. Elle était devenue vraiment forte. Et ces doigts.. Elle m'a dit que c'était ça, le plus douleureux. Même maintenant, ils lui font encore mal. Il s'arrêta là, et respira profondément, encore une fois. Et lorsqu'il paraissait avoir terminé, il rajouta cette unique phrase : Nephtys est devenue esclave dans le seul but de tuer son Maître."

Gehraz lui-même n'en revenait pas d'avoir raconté tout cela avec cette aisance naturelle de conteur qu'il avait depuis son plus jeune âge. Raconter était une habitude pour lui, mais cette histoire-là n'entervenait que rarement. Et pourtant, il savait que jamais il ne s'en lasserait. Parce que des moments aussi forts et intenses, dans aucun de ses entraînements, dans aucun de ses combats ils ne les avaient vécus. Il garda un instant le silence ; mais pas de ces silences lourds et gênés. Un silence presque complice. Il se tourna vers Finna juste avant qu'elle ne pose sa question, comme s'il l'a senti arriver, puis répondu :

"Ce n'était pas vraiment elle, comme vous l'avez vu toute à l'heure. Ses doigts, elle ne doit en aucun cas les utiliser trop longtemps sans une intervalle d'au moins quelques jours, voire semaine. L'énergie de l'être, c'est elle qui l'absorbe ; l'âme part à Grenth. Mais Grenth aime les âmes pures.. Comme la tienne, et pas forcément celles qu'il a eu dernièrement.. Tu as eu beaucoup de chance."

La bestiole de toute à l'heure. Il l'avait déjà oublié, avec tout ça. Il soupira doucement, comme si le nom ne lui venait pas à l'esprit assez rapidement, fronca les sourcils, et finalement s'en rappella :

"Un Longame nocturne. C'est bizarre, d'ailleurs.." Rajouta-t-il plus bas, comme pour lui-même, l'air tout d'un coup étrangement pensif.

Un Longame nocturne.. Avec tout ça, il n'avait même pas fait le rapprochement !

"Bordel.. Pesta-t-il en se relevant, et en s'approchant de la fenêtre. Il regarda au-dehors, attentivement, épiant le moindre mouvement. Mais tout semblait calme toujours recouvert de blanc. Il s'assura qu'elle était bien fermée, et en tira par la même occasion les vieux rideaux. Vous passerez la nuit ici, avec nous. Ne sortez pas, et n'ouvrez surtout pas la fenêtre. Il ne voulait pas l'effrayer plus que ça, mais mentir n'aurait pas non plus été une solution. Il posa ses grandes mains sur ses épaules frêles, les serrant doucement, d'un air qu'il voulait rassurant. Je vais m'assurer que tout est bien fermé dans votre chambre, prévenir les autres en bas d'en faire de même, et chercher Nephtys. D'accord ? Si jamais il se passe quoi que ce soit, si vous entendez le moindre bruit dehors, n'en faites aucun vous-même, et surtout, ne sortez pas. Evitez de respirer trop fort, aussi.. Rappellez-vous de ce que je viens de dire là, ça vaudra pour toute la nuit." Il hocha la tête, comme pour bien se confirmer à lui-même n'avoir rien oublié, et, sortit rapidement.

A peine sortit, il se précipita à l'étage. Si un était venu, c'est que d'autres ne devaient pas être loin. Et sa chambrette, où il y avait encore leur odeur, mais surtout celle de la jeune fille dans toute la pièce, était l'endroit parfait pout une petite intrusion. De là, ils n'auraient plus aucun mal à tout fracasser et descendre les quelques nombreux étages. Et heureusement que Gehraz était revenu ; sous l'action et la précipitation, ils n'avaient fermés la fenêtre que rapidement, et donc, pas entièrement. Il lâcha un soupir de soulagement, et se dit qu'il remerciera Nephtys ; c'est sans doute de elle qu'il tenait cette panaoïa à tout vérifier. Sans s'attarder, il redescendit, tout aussi rapidement, et, ne trouvant pas le patron et surtout n'ayant plus de temps à perdre, se mit sur une table au milieu. Des cris de colère et d'incompréhension résonnèrent d'abord de la part des clients ; et lorsqu'il montra son insgine de Lancier, tous s'arrêtèrent comme magie ; on n'entendait même plus un verre se poser sur la table. Rapidement, et sans rentrer dans les détails par faute de temps, il dit à tout le monde de renter le plus vite possible chez eux, en évitant comme ils pouvaient de sortir sans lumières. L'auberge n'était plus sûre. Alors, il attendit que la grande salle se vide peu à peu, et dit au patron de bien fermer de remonter dans sa propre chambre ; ce dernier obéit sans poser plus de questions. Il s'assura qu'il était bien en haut, et descendit dans la cave. Il attendit quelque temps devant la porte, épiant le moindre bruit, mais rien. Alors, il toqua doucement à la porte..

"Gehraz ! Entendit-il derrière, et comme si ce fût le signal, il ouvrit précipitamment, et vit la jeune femme aux cheveux argentés, toujours attachée.
-Que les Dieux soient loués.. Murmura-t-il en allant rapidement la détacher. Elle ne posa aucune question, ni sur le pourquoi du comment elle était là, ni même quand ils sortirent pourquoi l'auberge était vide. Remontons." Fit le jeune homme en lui prenant doucement la main. Nephtys, n'y répondant pas, passa rapidement devant, sa longue jupe sale et déchirée virevoltant au gré de ses pas rapides.

Et d'un coup, la porte s'ouvrit dans un grand fracas. Ce fut la jeune fille qui apparut en premiere. Les traces de liens qui l'avaient alors maintenanus etait bien visible encore sur son cou et ses chevilles. Ses cheveux de ce gris argent paraissait un peu plus sombre dans ce peu de lumiere, surtout a un endroit ; sans doute la ou Gehraz l'avait frappe et ou le sang avait maintenant seche. Sans meme un regard pour la serveuse recroquevillee contre le mur, elle jura dans une langue que Finna ne comprit sans doute pas, et pendant que le jeune pseudo-guerrier accourait aupres d'elle, la prenant dans ses bras, Nephtys, arrachant presque les rideaux d'un coup sec, en ouvrit ensuite de la meme facon la fenetre, et avant que cette sale bestiole ne s'envole, elle la prit par le cou, et la serrant dans sa main gantee, elle continuait a lui parler de cette langue etrangere alors que sa tete et tout son corps infame venaient s'ecraser contre le mur. Une petite fissure y apparut alors qu'elle balanca de toute ses force la chose par la ou elle etait venue. Certains mots des fois paraissaient comprehensibles, mais quand elle se recula tout devant la seule entree, et qu'elle ouvrit grand les bras dans un sourire que les deux autres ne purent voir, les mots etaient inutiles pour comprendre ce qu'elle faisait.

"Merde, tu fous quoi la ! S'ecria alors Gehraz, tenant toujours Finna tout contre lui.
-Je m'occupe, ca se voit pas ? J'oublie jamais la devise avec toi : "Les femmes a la guerre, les hommes a.." A la quoi deja ? Paillere ? Et elle rit de ses propres moqueries, en attendant les monstres suivant a defigurer. Mais le jeune homme, ne trouvant pas ca specialement drole, se releva et allait pour l'aider, mais a peine debout, qu'elle lui hurla presque dessus : Un pas de plus, et j'te fais la meme chose qu'a eux !". Ce sur quoi, il obeit, non sans une certaine amertume, et avec l'idee d'avoir une conversation serieuse avec elle, toute a l'heure. Ce n'etait pas dans ses habitudes de se comporter de la sorte ; et pendant que lui pensait a tellement de choses, les yeux fixes sur ce combat a mains nus, presque comme fascine, Nephtys riaient aux eclats.

Le jeune homme, en entendant le son de la voix de Finna, parut comme sortir de sa transe. Il ne comprit pas ce qu'elle dit -il a peine saisit ses mots- mais plongeant ses yeux dans les siens, mis son doigt sur ses levres, et hocha doucement la tete. Il sembla se relever, mais ne le fit qu'a motie, observant chaque geste de Nephtys. Avec elle, il fallait s'attendre a tout. Et surtout a ce que ca degenre n'importe quand. C'est aussi dans ces moments-la qu'il regrette tant de l'avoir laisse faire ce qu'elle a fait. A la place de la raisonner. Parce qu'au final, c'est elle qui en souffre le plus. Et Gehraz avec de la voir ainsi. D'ailleurs, il aurait parie qu'a ce moment-la, tout se voyait dans ses yeux. Il attendit encore, jusqu'a n'entendre plus aucune cris au-dehors. Et lorsqu'il vit qu'elle commencait a doucement baisser les bras, il se precipita vers elle, et fermant par la meme occasion la fenetre, lui prit les poignets, la reculant contre le mur. Elle parut tellement surprise que les larmes qui lui coulerent des yeux s'arreterent net. Elle le regardait, la bouche legerement entre-ouverte. Il sentit que sous ses doigts, elle tremblait. Elle le fixait toujours de ses yeux sincerement etonnes, comme si elle n'avait meme pas conscience de ce qui se passait. Comme si tout ce qui etait arrive, ce n'etait pas elle qui l'avait fait.

"Tu.. Tu me fais mal.." Lacha-t-elle dans un sanglot etouffe.